jeudi 17 mars 2016

Metraux : décrit ainsi une scène de possession dans son ouvrage sur le vaudou Bénin MAITRE SASSOU

Metraux : décrit ainsi une scène de possession dans son ouvrage sur le vaudou Bénin MAITRE SASSOU

« Ce qui appelle l'étude; ce sont les structures, les mécanismes, les équilibres constitutifs de toute religion et définis, discursivement ou symboliquement, dans toute théologie, dans toute mythologie, dans toute liturgie... Une religion est un système, différent de la poussière de ses éléments, ... une pensée articulée, une explication du monde.
Pour beaucoup d'observateurs, l'aspect le plus frappant du Vaudou a été le phénomène de possession ou la « crise de loa ». Très tôt des chercheurs se sont évertués à cerner le phénomène à l'aide de la psychologie et de la psychiatrie. Mais ce n'est que récemment qu'on a commencé à aller au-delà des définitions possibles du phénomène pour l'intégrer dans l'ensemble du système culturel. Auparavant, on avait considéré la crise de loa, comme un phénomène pathologique : au nom de la science, on décréta hystériques tous les vodouisants.

Cette attitude fut commandée par l'idéologie occidentale qui, pour fonder sa suprématie culturelle et son impérialisme économique, devait considérer les cultures et religions traditionnelles comme des cultures primitives, ou comme relevant d'une mentalité prélogique en discontinuité totale avec l'homme moderne dit civilisé.

L'explication donnée par les sectateurs du vaudou à la transe mystique est des plus simples, Selon Alfred Métraux, un loa se loge dans la tête d'un individu après en avoir chassé le « gros bon ange », l'une des deux âmes que chacun porte en soi. C'est le brusque départ de l'âme qui cause les tressaillements et les soubresauts caractéristiques du début de la transe.
Une fois le « bon ange » parti, le possédé éprouve le sentiment d'un vide total, comme s'il perdait connaissance. Sa tête tourne, ses jarrets tremblent. Il devient alors non seulement le réceptacle du dieu, mais son instrument. 
C'est la personnalité du dieu et non plus la sienne qui s'exprime dans son comportement et ses paroles. Ses jeux de physionomie, ses gestes et jusqu'au ton de sa voix reflètent le caractère et le tempérament de la divinité qui est descendue sur lui. Le rapport qui existe entre le loa et l'homme dont il s'est emparé est comparé à celui qui unit un cavalier à sa monture. 
C'est pourquoi on dit du premier qu'il « monte son cheval »..
La possession étant étroitement associée à la danse, on la conçoit sous l'image d'un esprit qui danse dans la tête de son cheval. Elle est aussi un envahissement du corps par un être surnaturel qui s'en approprie ; d'où l'expression courante : 'le loa saisit son cheval'." '
Les modalités de la possession varient suivant l'esprit qui cherche à se manifester - certains loa peuvent pénétrer le fidèle avec la "violence d'un ouragan" ou suivant que la personne "visitée" a reçu ou non une initiation, et particulièrement le "laver-tête" qui va contenir le loa, jusque-là présent à l'état sauvage. Important également : le "possédé" n'est pas seul, la foule l'entoure, le protège, et d'abord de lui-même, si la frénésie menace de l'emporter ou le conduit à des situations périlleuses. Enfin, il appartiendra à l'houngan (prêtre) de conduire la cérémonie, d'accompagner les personnes possédées, de borner le loa apparu ; d'aider à sa manifestation mais aussi à son départ.

L'agitation désordonnée du « possédé s'apaise peu à peu; soudain, un personnage nouveau se manifeste : le dieu. 
On lui apporte sur-le-champ ses attributs : chapeau, sabre, canne, bouteilles, cigares; s'il doit revêtir un costume, on l'accompagne vers une chambre du sanctuaire qui sert de vestiaire. Les esprits, quel que soit leur sexe, s'incarnent indifféremment dans des hommes ou des femmes. cette mascarade est plus ou moins réussie et dépend beaucoup de l'imagination ou simplement des ressources du houngan ou de la mambo. L'apparition d'un grand loa est accueillie par le rythme spécial, dit « aux champs »; chanteurs et chanteuses redoublent d'ardeur.

On évente le dieu, on essuie la sueur qui coule sur sa face. Si c'est un des esprits protecteurs attitrés du sanctuaire, on lui fait escorte, bannières en tête. Celui-ci observe à son tour la stricte étiquette du vaudou. il se prosterne devant le prêtre ou la prêtresse du lieu, devant les tambours et le « poteau-mitan ». Il est d'usage qu'il distribue de menues faveurs aux personnes présentes : aux unes, il serre les deux mains avec brusquerie; aux autres, il frotte le visage avec sa sueur ou bien il secoue leurs vêtements pour leur porter chance; il soulève dans ses bras ceux qu'il veut favoriser ou se faufile entre leurs jambes écartées. On attend de lui qu'il opère des cures; il lui faut alors toucher les malades et improviser des traitements. Il en est de déconcertants : Métraux raconte qu’ainsi la mambo Lorgina eut un jour la jambe cruellement mordue par un possédé d'Agoué qui cherchait à la guérir de ses rhumatismes.

Les possédés — plus exactement les dieux — font des prophéties, menacent les pécheurs et prodiguent volontiers des conseils. Ils s'en donnent d'ailleurs à eux-mêmes, puisque le loa s'adresse souvent à l'assistance pour lui demander de dire à son « cheval » de changer de conduite ou de suivre ses avis. Ces messages seront fidèlement transmis à l'intéressé dès qu'il sera en état de les écouter.

« Les hounsi, (initiés) avec des foulards rouges sur la tête et des robes de couleur, dansent en l'honneur d'Ogou. Dès la première danse, la mambo (prêtresse) Lorgina est possédée par ce dieu. En dépit de son âge, de son poids et de ses infirmités, elle danse allègrement devant les tambours, les mains sur les hanches, en secouant rythmiquement les épaules. Elle va ensuite chercher un sabre dont elle applique la poignée contre le « poteau-mitan » et, appuyant de toute sa force sur la pointe tournée contre son ventre, elle fait plier la lame. Elle répète ce dangereux exercice contre le socle du pilier. Un houngan vaporise avec sa bouche du rhum contre son ventre et lui frotte les jambes. Lorgina, saisie de fureur, attaque le maître de cérémonie, également armé d'un sabre. Le duel cérémoniel dégénère en véritable bataille, si bien que les spectateurs doivent s'interposer par crainte d'un accident. Lorgina est alors prise d'un nouvel accès de fureur belliqueuse. Elle taillade le « poteau-mitan » à coups de sabre et poursuit les hounsi qui s'enfuient épouvantées. Au moment où elle va les rejoindre, elle est arrêtée par les hampes des drapeaux sacrés que deux femmes croisent devant elle. Elle se calme aussitôt. Il en sera de même chaque fois que Lorgina-Ogou cédera à un accès de rage. Un prêtre vient lui parler en se tenant prudemment à l'abri des bannières. La mambo finit par rejoindre les hounsi qu'elle frappe violemment avec le plat de son sabre; ce débordement a sur elle un effet apaisant, elle salue les personnes présentes et leur prodigue des politesses. Elle se fait apporter ensuite un gros cigare qu'elle fume nonchalamment. Puis elle ordonne qu'on dispose devant elle la nourriture contenue dans un garde-manger suspendu au « poteau-mitan ». Elle en mange de bon appétit et distribue le reste aux hounsi. Elle convoque alors une petite fille, émue et tremblante, à qui elle avait déjà donné une vigoureuse fessée avec le plat de son sabre; elle lui fait une longue semonce sur la conduite qu'elle devra tenir et lui prédit le sort le plus affreux si elle dédaigne ses exhortations. Après avoir forcé la fillette à se prosterner devant elle, Lorgina — toujours avec la voix d'Ogou — s'adresse à ses hounsi auxquels elle donne longuement des conseils vestimentaires. Elle parle ensuite d'elle-même à la troisième personne et vante ses efforts, son esprit d'économie qui lui a permis de construire le sanctuaire. Les hounsi l'écoutent avec respect. Peu après, le dieu quitte la mambo qui redevient elle-même.
A.Métraux souligne ainsi que toute possession a un côté « théâtral ». Cet aspect se manifeste déjà dans le souci du déguisement. Les chambres du sanctuaire font un peu office de coulisses où les possédés trouvent les accessoires nécessaires. A la différence de l'hystérique, qui révèle ses angoisses et ses désirs au moyen, d'un symptôme — mode d'expression personnel — le possédé rituel doit se conformer à l’ image classique d'un personnage mythique Sitôt qu’il a fait le choix de la personnalité que le folklore lui propose ou, pour parler le langage vaudou, sitôt que le loa est de sa propre volonté ou en réponse à un appel, descendu en lui, le sujet compose son rôle avec les connaissances et les souvenirs accumulés petit à petit en fréquentant les congrégations cultuelles. La part de fantaisie laissée à un possédé est restreinte à ses rapports avec autrui. Il peut, s'il le veut, se montrer bienveillant ou, au contraire, courroucé envers certaines personnes; mais il ne peut modifier les traits de caractère ou la physionomie du personnage divin qu'il incarne. « D'aucuns réussissent mieux que d'autres à représenter tel ou tel dieu aux yeux de l'assistance. C'est pourquoi on entend dans les milieux vaudou des phrases de ce genre : « Vous devriez la voir lorsqu'elle a Erzili en tête. »

Ces similitudes entre la possession et le théâtre ne doivent pas faire oublier qu'aux yeux du public aucun possédé n'est véritablement un acteur. Il ne joue pas un personnage, il est ce personnage pour toute la durée de la transe.
Pourtant, comment éviter d'appeler théâtre les impromptus que les possédés organisent spontanément lorsque plusieurs divinités se manifestent simultanément dans différentes personnes?
Ces improvisations, dont le ton varie, sont fort goûtées de l'auditoire qui s'esclaffe, intervient dans le dialogue et manifeste bruyamment son plaisir ou son mécontentement.

Ainsi lorsque les possessions, par leur violence, créent une atmosphère un peu lourde, Guédé, obscène et moqueur, fait son apparition. Il s'assied sur les genoux des filles et feint de les violer. L'assistance goûte fort ces plaisanteries et rit de bon cœur.

Certains possédés sont capables d'une grande variété de jeux. Leur talent se révèle en particulier lors des possessions successives qui les obligent à changer sans transition de rôle. Ils peuvent, comme ce houngan que j'ai observé un soir, être Ogou-balindjo, dieu glapissant qui s'arrose la tête avec de l'eau, puis, subitement devenir Guédé-fatras et exécuter une danse acrobatique se terminant par l'apparition de Petit-Pierre, esprit glouton et querelleur qui, pour la plus grande joie de la galerie, cherche noise aux assistants p.115
A partir de ces éléments de comédie dans la possession ,A.Metraux pose une question fondamentale sur la signification de celle ci :
S'agit-il de véritables dédoublements de la personnalité, comparables à ceux dont souffrent certains hystériques, ou d'états simulés faisant partie d'un culte traditionnel et obéissant à des impératifs rituels? En d'autres termess, lorsque quelqu'un devient le réceptacle d'un dieu, a-t-il perdu le sentiment du réel, ou est-il simplement un acteur qui récite un rôle?

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